La pluie tambourinait sur la vitre, effaçant les contours du monde derrière un rideau d’eau épais. Paris semblait s’être réfugiée sous une couverture grise, comme pour mieux dissimuler ses secrets. Dans l’appartement exigu de la rue de l’Ourcq, Serge Fileas fixait la ville sans la voir, la mâchoire serrée, les mains crispées sur la tasse de café qui refroidissait depuis des heures.
Il était tard, ou peut-être était-il encore tôt. Les aiguilles de l’horloge semblaient tourner avec une lenteur cruelle, chaque tic-tac ajoutant à l’angoisse qui le rongeait. Serge n’était pas un homme prompt à la panique ; des années passées à arpenter les rues comme policier l’avaient blindé contre bien des peurs. Mais cette nuit, il sentait en lui une panique froide, insidieuse, plus tenace qu’aucun des criminels qu’il avait traqués.
Il jeta un œil à la photographie posée à côté du téléphone. Sophia, sa fille. Quinze ans, le sourire éclatant, la mèche rousse qui lui tombait sur le front, les yeux rieurs de sa mère. Une vague de tendresse lui serra la gorge. Il avait élevé Sophia seul depuis des années et, à sa manière maladroite, il espérait avoir fait du bon travail. Elle était vive, indépendante, parfois insolente, mais il savait que derrière ses airs bravaches, se cachait la fragilité d’une adolescente qui cherchait sa place.
Et depuis vingt-quatre heures, elle avait disparu.
Tout avait commencé par un détail infime. Le sac de Sophia, posé au pied du canapé, laissait entrevoir une absence : son carnet de croquis, un vieux sweat noir, manquaient à l’appel. Une note griffonnée à la hâte sur la table de la cuisine – « Je rentre tard, ne t’inquiète pas. Bisous. » – ne ressemblait pas à ses messages habituels, plus longs, pleins de dessins ou de clins d’œil. Serge avait attendu, s’efforçant de se convaincre que tout allait bien. Mais à minuit, puis à quatre heures du matin, le silence devenait assourdissant.
Il avait d’abord agi en père, tentant d’appeler ses amies, fouillant les réseaux sociaux, interrogeant les voisins. Très vite, l’instinct du policier avait repris le dessus. Il s’était rendu au commissariat, avait hésité en franchissant la porte. Le regard de ses anciens collègues oscillait entre la compassion et la gêne, comme s’ils ne savaient s’il fallait voir en lui l’officier tenace ou le père désespéré.
— T’es sûr qu’elle n’a pas fugué, Serge ? avait demandé l’un d’eux, la voix douce, pleine de fausse assurance.
Mais il le savait, au plus profond de ses tripes : Sophia n’était pas partie de son propre chef. Ce détail dans la lettre, le dessin absent en bas de page, la façon dont elle avait embrassé son père la veille – un peu plus fort que d’habitude. Il y avait quelque chose d’anormal, une cassure invisible.
Serge consulta une nouvelle fois son carnet, relisant au crayon les informations griffonnées depuis la veille : les trajets de Sophia, ses habitudes, les noms de ses amis, la description de ses vêtements ce jour-là. Il avait noté chaque détail, chaque intuition, cherché à faire parler le silence. Mais le silence, ce soir-là, semblait complice.
La nuit s’étirait, opaque. Il se força à respirer lentement, à aligner ses pensées. Il connaissait par cœur les premiers instants d’une disparition. Les premières vingt-quatre heures sont cruciales, lui répétait-on à l’école de police. Mais dans la réalité, tout se brouille, la panique dilue l'efficacité.
Son téléphone vibra soudain, brisant la torpeur. Un message, inconnu : « Arrête de chercher. »
Rien d’autre. Pas de point, pas de signature. Serge sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Les menaces, il en avait reçu dans sa carrière. Mais jamais il n’avait ressenti un tel mélange de peur et de rage. Il relut le message, tentant de repérer un indice, une faute, un détail. Mais la sécheresse du texte trahissait une assurance inquiétante. Le silence se faisait complice d’un crime en train de s’accomplir.
Serge savait que la police ne pourrait pas faire plus que ce qu’elle faisait déjà. Il savait aussi que sa position d’ancien flic jouait contre lui : l’institution n’aimait pas mélanger affaires personnelles et enquêtes officielles. Il allait devoir avancer seul, ou presque.
Il se leva d’un bond, enfila sa vieille veste usée, attrapa la lampe torche qu’il gardait toujours au fond d’un tiroir. Il ouvrit la porte, le visage fermé, prêt à affronter la nuit. Avant de sortir, il s’arrêta un instant devant la photo de Sophia. Son regard y chercha un signe, une force.
— Je te retrouverai, murmura-t-il.
La cage d’escalier résonnait de ses pas lourds. Dehors, la pluie s’était calmée, laissant derrière elle une ville luisante de reflets. Serge plongea dans cette obscurité familière, s’enfonça dans les artères désertes, guidé par la certitude froide que le silence lui-même ne pouvait être innocent.
Les ruelles du quartier semblaient garder, ce soir-là, un secret de plus. Il y avait dans l’air une tension électrique, comme si chaque recoin attendait d’exploser en révélations. Serge marcha longtemps, écoutant les bruits feutrés derrière les volets clos, guettant le moindre signe de vie.
Il ne pouvait s’empêcher de penser à tous ces parents qu’il avait vus, autrefois, assis dans les couloirs du commissariat, les yeux rouges et la voix tremblante. Jamais il n’aurait cru se retrouver de l’autre côté du miroir.
Le téléphone vibra à nouveau. Une photo, floue, prise dans la pénombre : un dessin griffonné sur un mur, un motif qu’il reconnaissait entre mille – une étoile à cinq branches, le symbole que Sophia inscrivait partout depuis son enfance.
Serge sentit une lueur d’espoir traverser la peur. Sophia avait laissé une trace, un signe. Il n’était peut-être pas trop tard. Le silence n’était pas total : il parlait, pour qui savait écouter.
La nuit, désormais, avait une direction. Serge Fileas, à la recherche de sa fille, s’élança à sa poursuite, prêt à déchirer le voile du silence, coûte que coûte.
La nuit s’était à peine dissipée, laissant derrière elle des flaques d’eau pâle sur les trottoirs et une lumière laiteuse à peine filtrée par les nuages. Serge Fileas n’avait pas dormi. Il errait depuis l’aube, tel un fantôme hantant ses propres souvenirs, la photo sur l’écran de son téléphone brûlant dans sa poche. L’étoile à cinq branches, à peine esquissée sur ce mur lépreux, tracée par la main tremblante de Sophia. Elle avait laissé un signe, une balise fragile dans la brume opaque de sa disparition.
Serge s’arrêta à l’angle de la rue d’Aubervilliers, là où la photo semblait avoir été prise. Le quartier, à cette heure, n’était qu’un entrelacs de rideaux de fer, de vitrines maculées et de passants pressés, qui évitaient son regard avec une indifférence lasse. Il balaya la façade des yeux, cherchant la marque familière. Elle était là, à demi effacée par la pluie, sur une porte métallique rouillée. Il s’accroupit, effleurant le symbole du doigt – la craie s’était diluée, mais la forme subsistait, obstinée, comme un appel silencieux.
Un vieux souvenir affleura à sa mémoire : Sophia, petite, dessinant d’un trait sûr des étoiles partout où elle passait : sur le cahier de cuisine, sur le mur de sa chambre, au revers de ses manches. C’était son code, son refuge. S’il voulait la retrouver, il lui faudrait suivre ces balises, comme un fil d’Ariane dans le labyrinthe de la ville.
Il sortit son carnet, gribouilla l’heure et l’endroit. Puis il se releva, épousseta machinalement son pantalon, et laissa son regard dériver sur la rue. Soudain, une silhouette attira son attention : une jeune femme, fine et nerveuse, qui semblait hésiter à s’engager dans l’impasse. Elle tourna la tête, croisa son regard et fit mine de rebrousser chemin.
Serge la héla, la voix grave mais douce.
— Excusez-moi, mademoiselle… Vous avez vu qui a fait ça, sur la porte ? demanda-t-il en désignant l’étoile.
La jeune femme hésita, jetant de rapides coups d’œil autour d’elle, puis s’approcha à pas feutrés. De près, elle paraissait plus jeune encore, les traits tirés, les yeux soulignés de khôl.
— J’ai vu une fille hier soir… Elle semblait perdue, un peu paniquée. Elle traînait dans le coin, elle a dessiné ça juste avant de partir, murmura-t-elle.
Serge sentit battre son cœur plus vite.
— Elle était seule ?
— Oui… Enfin, je crois. Il y avait un type, un peu plus loin. Il la fixait, c’était bizarre.
Serge sortit une photo de Sophia.
— C’était elle ?
La jeune femme acquiesça aussitôt, les yeux agrandis par la surprise.
— Oui, c’est elle. Mais elle avait l’air effrayée, elle regardait partout, comme si elle fuyait quelqu’un.
Il remercia la jeune femme, tenta de la questionner davantage, mais elle s’éloigna déjà, pressée de disparaître dans la foule. Serge rangea précieusement ce témoignage. Sophia n’était pas seule dans sa fuite. Mais poursuivie par qui ?
Il s’engagea dans l’impasse, examina le sol. Rien, sinon des papiers gras, des tessons de bouteille, le parfum persistant de l’urine et du tabac froid. Mais une intuition le poussa à s’approcher du conteneur à ordures. Sous le battant, il entrevit un carnet à spirale, abandonné là, détrempé par la pluie. Son cœur se serra : c’était bien le carnet de croquis de Sophia. Il le ramassa avec précaution, l’ouvrit. Les pages étaient tachées, mais un dessin récent se détachait des autres : un visage anonyme, encapuchonné, dont les yeux sombres semblaient le fixer avec défi. Sous le portrait, une adresse – « 34, rue des Ardennes » – écrite en lettres hâtives.
Serge sentit l’angoisse, mais aussi l’espoir. Sophia avait laissé des traces, elle se débattait, elle cherchait de l’aide. Mais pourquoi cette adresse ? Était-ce un rendez-vous, un refuge, ou un piège ?
Il consulta son téléphone, hésita à prévenir la police. Mais il savait que le temps jouait contre lui, et qu’il ne pouvait plus se contenter d’attendre. Il appela à la place un vieil ami, Jacques Lemoine, ancien collègue du service, un homme de confiance.
— Jacques, j’ai besoin de toi, lâcha Serge sans préambule.
Jacques n’hésita pas.
— Où es-tu ?
— Rue d’Aubervilliers. J’ai retrouvé le carnet de Sophia et une adresse. 34, rue des Ardennes. Tu peux vérifier à quoi ça correspond ?
Quelques minutes plus tard, Jacques le rappelait.
— Un vieux squat, signalé plusieurs fois pour des trafics. Pas vraiment un endroit pour une ado.
Serge sentit un pincement au cœur. Sophia s’était-elle réfugiée là ? Ou l’y avait-on emmenée ?
— J’y vais. Préviens-moi si tu as du nouveau.
Il remonta la rue d’un pas rapide, longeant les murs, luttant contre la fatigue qui se faisait sentir. La ville s’animait lentement autour de lui, ignorant le drame qui se jouait derrière ses murs. Il atteignit enfin la rue des Ardennes, silencieuse à cette heure. Le numéro 34 était un immeuble décrépit, façade taguée, volets clos, une odeur âcre de moisissure s’échappant du hall.
Serge hésita, accéléra le pas et poussa la porte, qui céda sous la pression. L’intérieur était plongé dans une pénombre inquiétante. Au rez-de-chaussée, il entendit des murmures, des éclats de voix, puis le silence. Il s’approcha, chaque geste tendu comme la corde d’un arc. Il n’était plus seulement un père : il redevenait enquêteur, traquant l’invisible à la lisière du danger.
Dans l’obscurité, il distingua deux silhouettes, des jeunes, affalés sur des matelas crasseux. L’odeur du cannabis flottait dans l’air. L’un d’eux, les cheveux blonds paille, le fixa en plissant les yeux.
— Qu’est-ce tu veux, monsieur ?
Serge prit une grande inspiration.
— Je cherche ma fille. Une ado, rousse, elle s’appelle Sophia. Elle est passée ici ?
Les jeunes haussèrent les épaules, indifférents. Mais le second, plus maigre, détourna les yeux trop vite. Serge s’approcha lentement, sortit la photo de Sophia.
— Tu la connais, hein ? souffla-t-il d’une voix basse.
Le garçon hésita, puis, vaincu par la peur ou la lassitude, murmura :
— Elle était là hier soir. Elle voulait pas rester, elle disait qu’elle se sentait suivie. Quelqu’un l’attendait dehors, on a tous flippé. On lui a dit de filer, mais elle avait l’air paumée…
— Qui l’attendait ?
— J’sais pas… Un mec avec une veste en cuir, il traîne souvent autour. Il parle pas beaucoup, mais ils disent qu’il bosse pour des types pas nets.
Serge sentit le doute s’insinuer en lui. Sophia avait-elle croisé la route de quelqu’un de dangereux ? Pourquoi n’avait-elle pas appelé à l’aide, pourquoi ces messages cryptés ? Il remercia les jeunes, sortit dans la lumière blafarde du matin.
Dans la rue, il s’appuya contre la façade, ferma les yeux un instant. Les premières pistes se dessinaient, mais avec elles, des interrogations plus terribles encore. Sophia fuyait-elle un inconnu, ou était-elle prise dans un engrenage plus vaste ? Avait-elle commis une faute, ou était-elle victime des secrets des adultes ?
Serge sentit en lui la fatigue, le vertige du doute. Mais il n’était pas homme à abandonner. Il rouvrit les yeux, releva la tête. L’enquête ne faisait que commencer, et avec elle, s’annonçaient les premières ombres, les premiers dangers. Au fond de lui, une certitude grandissait : pour retrouver Sophia, il lui faudrait accepter de revoir sa propre histoire, d’affronter ses propres failles.
Dans le silence naissant du petit matin, Serge Fileas se remit en marche, décidé à poursuivre sa quête, coûte que coûte. Les pistes étaient ténues, les doutes nombreux, mais il tenait enfin un fil, et il n’était pas homme à lâcher prise.
Le matin avait définitivement brisé la nuit, mais la lumière sur la ville semblait hésitante, pâlie par des nuages qui s’amoncelaient, lourds d’orage à venir. Serge Fileas marchait d’un pas lourd le long du canal, à la frontière de la ville et de ses marges, là où Paris exposait ses fractures sans fard. Les rumeurs de la veille tournaient dans sa tête, tambourinant contre ses tempes comme la pluie sur les toits de tôle. Il n’avait pas dormi, ses pensées trop encombrées par le visage de Sophia, par ce carnet détrempé, par cette étoile griffonnée sur le mur, balise fragile dans la nuit.
Il s’était arrêté, le souffle court, devant un vieux café à l’enseigne défraîchie : « Chez Yolande ». C’était un de ces endroits où l’on venait s’oublier, noyer la fatigue dans les vapeurs acides du café brûlé et le murmure des habitués. Serge poussa la porte, accueilli par la clochette grinçante et l’odeur persistante du tabac froid. Il s’assit à une table du fond, dos au mur, le regard balayant la salle d’un œil de vieux flic.
Il commanda un café, plus par réflexe que par goût, puis sortit son carnet, y reprit chaque détail, chaque nom croisé, chaque doute griffonné à la hâte : Sophia, poursuivie la veille par un homme en cuir, réfugiée dans un squat pour mieux échapper à une menace invisible. Pourquoi n’avait-elle pas appelé, pas écrit, sinon à travers ces signes ténus, ces symboles d’enfance ? Et ce visage encapuchonné dans son carnet… Il crut reconnaître une expression, une tension familière. Mais où avait-il vu cette silhouette auparavant ?
La serveuse, une femme au visage marqué et aux gestes précis, déposa le café devant lui. Elle le détailla un instant – la fatigue, la veste râpée, les mains qui tremblaient à peine.
— Vous avez l’air soucieux, m’sieur. Des soucis de famille ? osa-t-elle, mi-compatissante, mi-curieuse.
Serge hésita, puis soupira.
— Ma fille a disparu. Je la cherche.
Elle hocha la tête, comme si elle comprenait ce genre de tragédie muette.
— Si je peux vous aider…
Il la remercia d’un sourire las. Il n’attendait plus grand-chose de la gentillesse des inconnus, mais chaque geste comptait dans l’épuisement de sa course. Il termina son café d’une traite, laissa quelques pièces sur la table et sortit, regagnant la rue, lesté d’une détermination nouvelle.
Il lui fallait en savoir plus sur l’homme en cuir, sur le squat, sur les réseaux qui s’y étaient tissés dans l’ombre. Il pensa à Jacques Lemoine, son vieil ami, qui avait autrefois patrouillé dans ces mêmes rues, avant que la lassitude et les compromis n’aient raison de sa carrière. Il l’appela, la voix gorgée d’urgence.
— Jacques, écoute, tu te souviens du “Gitan”, ce type qui traînait autour des squats à l’époque ? Toujours fourré dans les affaires louches, veste de cuir, gueule cassée…
— Bien sûr, répondit Jacques du tac au tac, un soupçon de tension dans la voix. Tu crois qu’il est mêlé à cette histoire ?
— J’en ai l’intuition. On m’a parlé d’un type qui lui ressemble, près du squat où Sophia est passée.
Un silence, puis Jacques reprit :
— Je peux essayer de retrouver sa trace. Il traîne parfois du côté de la Villette. Mais fais gaffe, Serge. Ce genre de gars, ça ne laisse jamais rien au hasard.
La conversation hachée, Serge sentit remonter les souvenirs à la surface. Sa propre carrière, ses propres ombres. Le “Gitan”, de son vrai nom Jérémy Delpuech, avait été impliqué dans plusieurs affaires de disparitions, jamais inculpé, trop malin, trop invisible. C’était le genre de prédateur qui rôdait en périphérie des histoires officielles, profitant du silence, des failles et des fuites. Un frisson le traversa.
Il reprit sa route, l’esprit accaparé par cette silhouette du passé. Sur le chemin, il croisa des lycéens, des jeunes qui riaient trop fort, venus d’un autre monde. Un instant, il crut apercevoir la chevelure rousse de Sophia, et son cœur bondit – avant de s’effondrer, face à la déception. Il avança, poussé par un espoir têtu, jusqu’à la grande halle de la Villette. Là, il s’arrêta, chercha du regard la faune bigarrée des marginaux, tentant de repérer une trace du “Gitan”.
Ce fut un vieux clochard qui s’approcha de lui, le fixant d’un œil mi-lucide, mi-sans âge.
— T’as pas une clope, grand ?
Serge secoua la tête, puis montra la photo de Sophia.
— Tu l’as vue, cette gamine ?
Le vieux observa longuement le cliché, puis claqua de la langue.
— Pas ici. Mais j’ai vu un gars bizarre traîner près du canal, avec un blouson en cuir. Il causait à une fille, hier soir. Elle avait l’air paumée. Après, ils sont partis vers les entrepôts.
— Tu connais ce gars ?
— Ils l’appellent tous le “Gitan”. Faut pas traîner avec lui, crois-moi.
Serge sentit la sueur froide dans son dos. Il glissa un billet au vieux, qui le remercia d’un clin d’œil.
Il n’avait plus de doute : la piste du passé resurgissait, pleine de menaces. Il suivit les berges du canal, longea la zone industrielle où les pas résonnaient dans le vide. Les entrepôts, transformés en abris précaires et en caches pour les trafics les plus sombres, s’étendaient, labyrinthes de tôle et de béton tagué. Il s’avança prudemment, chaque pas soupesé.
Un éclat de voix le fit s’arrêter. Il se tapit derrière un conteneur, guettant la scène. Deux hommes discutaient à voix basse. L’un, massif, portait une veste de cuir élimée. Il avait le visage buriné, les cheveux poivre et sel tirés en arrière. À côté de lui, un gamin mal fagoté grattait nerveusement le sol du pied.
— T’as fait ce que j’ai dit ? grondait le type au blouson.
— Ouais, elle a laissé un message, comme tu voulais. Mais ça craint, patron, le père est dans le coin.
Une claque sèche partit. Le gamin encaissa, la tête basse.
— On s’en fiche du père. Il faut juste que la fille reste invisible. Compris ?
Serge sentit la colère monter en lui, acide et froide. Il se glissa lentement en arrière, sans bruit. L’homme en cuir… Le “Gitan”. Il avait donc pris Sophia en filature, peut-être même l’avait-il enlevée. Mais pourquoi ce manège, pourquoi ces messages ? Sophia était-elle un pion, ou une cible ?
Il recula, remonta le quai à contresens. À mesure qu’il s’éloignait, les souvenirs affluaient. Il se revit, jeune policier, arpentant ces mêmes rues, courant après des ombres, persuadé de pouvoir sauver le monde. Mais il se souvenait aussi des compromissions, des dossiers classés faute de preuves, de ce sentiment d’impuissance qui avait fini par lui ronger le cœur. Le “Gitan” était de ceux que la justice effleurait sans jamais abattre.
Revenu en terrain sûr, il appela Jacques.
— Le “Gitan” est bien impliqué. J’ai entendu une conversation. Ils veulent que Sophia disparaisse, mais je ne comprends toujours pas pourquoi. Tu peux creuser sur ses nouveaux contacts ? On doit trouver où il cache ma fille.
— Je m’en occupe, Serge. Mais fais attention. Tu sais ce qu’il s’est passé la dernière fois…
Serge raccrocha sans répondre. Oui, il savait. La dernière fois, une fillette avait disparu, et ils n’avaient retrouvé qu’un silence épais, jamais élucidé. Un échec qui avait pesé lourd sur sa conscience, sur sa vie de père, sur sa capacité à croire aux happy ends.
Il marcha longtemps encore, hanté par les échos du passé. À force de tourner, il finit par revenir vers « Chez Yolande ». Mais la serveuse, en le voyant, lui fit signe. Elle avait reçu une enveloppe, déposée par « un type louche, la trentaine, veste de cuir », à son intention.
Serge ouvrit l’enveloppe d’une main tremblante. À l’intérieur, une photo polaroïd, floue, prise dans la pénombre d’une pièce sans fenêtre. Sophia, assise sur une chaise, les yeux rougis, mais vivante. Un mot griffonné au dos : « Arrête de fouiller le passé, ou tu la perds à jamais. »
Serge sentit la colère et la peur se mêler dans ses veines. Les ombres du passé étaient plus proches qu’il ne l’avait cru ; elles s’étendaient, prêtes à tout engloutir. Mais il ne reculerait pas. Il le jura, le souffle court, une main crispée sur la photo : jamais il n’abandonnerait, jamais il ne laisserait les fantômes de son histoire engloutir Sophia.
La nuit tombait de nouveau, lourde de menaces et de secrets. Serge Fileas, plus déterminé que jamais, se remit en marche, prêt à affronter toutes les ombres pour arracher sa fille au silence et à l’oubli.
La nuit était tombée d’un bloc, lourde, bourdonnante, étranglant la ville sous un manteau impénétrable. Les lampadaires diffusaient une lumière blafarde qui découpait des ombres mouvantes sur le pavé luisant. Serge Fileas arpentait la rue d’un pas félin, les nerfs à vif, l’enveloppe dans la poche et la photo de Sophia lui brûlant comme une braise. Les mots « Arrête de fouiller le passé, ou tu la perds à jamais » résonnaient dans sa tête, formant un écho malsain qui s’entrechoquait à chaque battement de son cœur. Il savait, dans la moelle de ses os, qu’il était désormais trop tard pour reculer : la traque était engagée, et il n’était pas homme à marcher à reculons.
Il remonta la rue de Pantin, longeant les quais silencieux du canal. À présent, chaque recoin, chaque reflet trouble sur la surface de l’eau, lui semblait porteur de sens caché. Les menaces du « Gitan » étaient claires, mais Serge avait depuis longtemps appris à lire entre les lignes. Ces voyous, il les connaissait : ils se plaisaient à jouer avec la peur, mais leur assurance masquait toujours une faille, un détail mal maîtrisé.
Il s’arrêta soudain, son regard accroché par un mouvement furtif. Une silhouette, fine, recroquevillée sous l’arche d’un pont, scrutait nerveusement la rue. Serge s’approcha, prudent mais décidé, et reconnut le gamin mal fagoté qui, plus tôt, s’était fait malmener par le « Gitan ». Il s’accroupit à quelques mètres, posant la voix.
— Tu cherches quelqu’un ou tu cherches des ennuis, toi ?
Le garçon sursauta, prêt à détaler, puis reconnut Serge.
— C’est vous… Le père de la fille.
Serge hocha la tête, laissant la tension couler dans sa voix.
— Tu sais où elle est. Tu as peur du « Gitan », mais tu devrais avoir plus peur de ce qui arrivera si tu continues à garder le silence.
Le gamin hésita, triturant la lanière de son sac à dos. Il finit par baisser les yeux.
— J’ai pas voulu… Je croyais qu’il lui voulait juste faire peur. Mais ça… ça a tourné mal.
Serge s’approcha davantage, son regard planté dans celui de l’adolescent.
— Tu peux réparer. Parle-moi. Aide-moi à la retrouver, et je te jure que personne ne te touchera.
Le garçon leva enfin les yeux, déchiré entre peur et culpabilité.
— Elle est pas loin. Le « Gitan » l’a planquée dans un vieux local, rue du Chemin-Vert. Il dit qu’il attend des ordres, qu’il va la faire « disparaître » si on fouille trop. Il parle d’un « deal » avec un type… Un flic. Un ancien flic, je crois. J’ai entendu des noms, mais j’osais pas écouter plus.
Le cœur de Serge se serra. Un « deal » impliquant un ancien de la maison ? La nausée monta, mêlant colère et désespoir.
— Tu peux m’amener là-bas ?
Le gamin hocha la tête, et ensemble ils remontèrent la rue, longeant des murs tagués, évitant les éclats de voix et les fenêtres éclairées. Plus ils s’approchaient du Chemin-Vert, plus la peur du garçon devenait palpable ; mais Serge sentait aussi, en lui, le vieux feu de l’enquêteur – cette rage froide qui le tenait debout, même quand tout vacillait.
Ils s’arrêtèrent devant un immeuble abandonné, façade crevassée, toutes vitres brisées. Le gamin désigna la porte du menton.
— C’est là. Faut faire vite.
Serge sortit son téléphone, contacta Jacques à voix basse.
— J’ai l’adresse. Vieux local, Chemin-Vert. Bouge-toi, mais pas de sirènes : je veux Sophia vivante.
À peine eut-il raccroché qu’il s’engouffra à l’intérieur. Les couloirs sentaient la moisissure et la peur. Serge monta les escaliers quatre à quatre, guidé par un instinct d’animal blessé. Arrivé au deuxième étage, il entendit un sanglot étouffé, de l’autre côté d’une porte entrouverte. Il s’approcha, le cœur battant.
— Sophia ? murmura-t-il.
Un silence, puis un souffle, un cri retenu.
— Papa !
Il entra d’un bond. Sophia, assise contre un mur, mains liées dans le dos, visage blême mais vivant. À côté d’elle, la silhouette massive du « Gitan », bras croisés, regard dur. Il n’était pas armé, mais son assurance était celle d’un fauve acculé.
— C’est fini, Delpuech, lança Serge, la voix cinglante. Tu ne t’en tireras pas cette fois.
Le « Gitan » eut un petit rire mauvais.
— T’es pas en position de donner des ordres, Fileas. Si tu fais un pas, la gamine trinque.
Serge avança lentement, les mains ouvertes.
— Tu ne partiras pas d’ici. Et tu le sais.
Derrière lui, il sentit la présence du gamin, tremblant dans le couloir. Sans quitter Delpuech des yeux, Serge chercha un angle, une faille dans la posture du voyou. Il repensa à ses années de service – à la manière dont le « Gitan » aimait dominer, mais craignait la panique.
— Tu négocies avec qui, Delpuech ? Avec quelqu’un des nôtres ? Qui t’a payé pour enlever ma fille ?
Un éclair d’arrogance passa dans les yeux du « Gitan », mais il resta muet.
Derrière, dans l’escalier, Serge perçut soudain des bruits de pas. Il pria pour que ce soit Jacques et non pas un complice du « Gitan ». La tension monta d’un cran. Sophia, profitant d’un moment d’inattention, fit glisser la chaise contre le mur ; un bruit sec, qui détourna l’attention du « Gitan » une fraction de seconde.
Ce fut suffisant. Serge bondit, renversant Delpuech en un choc violent. Les deux hommes roulèrent au sol, échangeant des coups, grognant comme des bêtes. Serge pensa à Sophia, à sa promesse, à toute la rage qui l’animait. Il finit par bloquer le « Gitan » d’un coup de genou dans le flanc, le maintenant au sol, haletant.
Au même instant, Jacques surgit dans la pièce, pistolet en main, visage marqué par la peur.
— Serge ! Tu l’as ?
Serge, essoufflé, fit signe vers Sophia.
— Va la détacher.
Jacques s’exécuta tandis qu’il maintenait Delpuech au sol. Sophia, libre, se précipita dans les bras de son père. Leur étreinte était fébrile, haletante, faite de larmes et de stupeur, mais aussi de ce soulagement brutal qui vous transperce à l’instant où l’on touche à nouveau la vie.
— Je suis là, ma fille… Je suis là, souffla Serge, la gorge nouée.
Jacques menotta Delpuech qui, le regard noir, cracha par terre.
— On n’a pas fini, Fileas. Tu crois avoir gagné ? Y’en a d’autres, et celui qui tire les ficelles, tu le connais…
Le gamin, resté en retrait, murmura :
— C’est vrai, monsieur. J’ai entendu des noms… Un certain « Vasseur ». Il disait que c’était un ancien flic, déjà dans les magouilles à l’époque.
Le visage de Serge se crispa. Vasseur – ce nom sonnait comme une cloche fêlée dans sa mémoire. Un collègue d’autrefois, muté après un scandale étouffé, disparu sans laisser de trace. Derrière le « Gitan », il y avait donc un réseau, plus vaste, plus pourri qu’il ne l’aurait cru.
La police arriva finalement, sirènes coupées, neutralisant la zone. Serge prit Sophia dans ses bras, refusant de la lâcher. La jeune fille pleurait en silence, le souffle saccadé, incapable de dire tout ce qu’elle avait traversé.
— Tu es en sécurité, maintenant, murmura-t-il. Je te promets, tout est fini.
Mais il savait que ce n’était pas tout à fait vrai. Dans la lumière crue du petit matin, alors que Sophia était emmenée à l’hôpital pour des examens, Serge s’assit sur les marches du local, la tête entre les mains. Les révélations pleuvaient comme des éclats de verre : derrière l’enlèvement de sa fille, il y avait la corruption, les trahisons, les vieux dossiers jamais refermés.
Jacques s’accroupit à côté de lui, une main lourde sur son épaule.
— On va sortir tout ça, Serge. On ira jusqu’au bout.
Serge releva la tête, le regard durci par la fatigue et la détermination. Il n’était plus seulement question de Sophia – mais de toutes les ombres, de tous les enfants perdus, de tous les secrets que la ville voulait étouffer. Le « Gitan » était neutralisé, mais le vrai poison, lui, courait encore dans les veines du passé.
Il se leva, prêt à continuer la traque. Car tant que la vérité sommeillerait dans l’ombre, il n’y aurait ni paix ni oubli. Et Serge Fileas n’était pas homme à laisser dormir la vérité.
L’aube se levait, timide, étirant ses doigts pâles sur les toits de Paris. Dans l’air flottait une odeur de lessive mêlée à celle, plus âcre, de la ville qui s’éveille difficilement, comme une plaie qui ne veut pas cicatriser. Serge Fileas, assis dans un couloir de l’hôpital Lariboisière, avait les yeux rivés sur la porte blanche de la chambre 219. Au bout du couloir, les infirmiers changeaient de poste dans un ballet discret. Tout semblait suspendu, avec cette tension sourde des lendemains de tempête.
Sophia, sa fille, était là, de l’autre côté du mur. Elle dormait enfin, sous sédatif, un filet de perfusion planté dans le bras. Il l’avait veillée toute la nuit, veillant à distance, écoutant le souffle fragile de la respiration, guettant la moindre angoisse, prêt à bondir. Parfois, elle se mettait à trembler, à murmurer des mots incohérents, à pleurer sans bruit. Serge restait là, impuissant, caressant d’une main tremblante la chevelure rousse qu’il aimait tant. Il aurait voulu pouvoir effacer les images gravées dans sa mémoire, mais il savait que certaines blessures sont comme des cicatrices sur le cœur : elles ne disparaissent jamais tout à fait.
Ce matin-là, Serge n’était pas seulement un père meurtri. La colère et la peur s’étaient muées en autre chose, une détermination froide de comprendre, de ne pas laisser l’histoire se refermer en queue de poisson. Les révélations de la nuit tournaient dans sa tête : le « Gitan » aux menaces vaines, le nom de Vasseur venu du passé, la certitude qu’au-delà de la survie de sa fille, une autre menace rôdait encore, plus insidieuse et plus vaste.
Il sortit dans le couloir, son carnet à la main, rejoignant Jacques qui sirotait un café tiède, l’air défait.
— Tu tiens le coup ? demanda Jacques, posant une tape amicale sur son épaule.
Serge hocha la tête, les traits tirés.
— Je veux tout comprendre. Pourquoi Sophia ? Pourquoi ce manège ? Et… Qui tire vraiment les ficelles ? On ne peut pas s’arrêter là, Jacques. Pas après tout ça.
L’ex-inspecteur soupira, prenant soin de baisser la voix.
— J’ai passé des coups de fil cette nuit. Vasseur a disparu des radars depuis des années, mais j’ai retrouvé une vieille adresse planquée dans un dossier : une planque à Montreuil, au-dessus d’un garage désaffecté. Il aurait été vu ces derniers temps, selon un indic. Je peux te donner l’adresse, mais tu sais… c’est risqué.
Serge sentit la fatigue se dissiper un peu, remplacée par le feu de l’action.
— Je n’ai plus le choix, Jacques. Je dois comprendre ce qu’il voulait, ce que ma fille a à voir là-dedans. Et je dois l’entendre de sa propre bouche.
Il jeta un dernier coup d’œil à la porte de Sophia, puis suivit Jacques dehors. Paris s’était réveillée, indifférente à leur drame, les klaxons et les passants comme un rideau sonore masquant la tragédie souterraine.
Ils trouvèrent la planque en fin de matinée, au fond d’une impasse sale. L’endroit sentait l’huile, le béton mouillé. Jacques resta dehors, prêt à appeler du renfort. Serge gravit l’escalier de service, le cœur battant, chaque pas résonnant comme un écho du passé.
Derrière la porte, une silhouette se dessinait dans la lumière. Vasseur. Le temps l’avait durci, épaissi, mais ses yeux gardaient la même lueur cassée, ce mélange de défi et de lassitude.
— Fileas… Je m’attendais à te voir, lâcha-t-il, une cigarette à la main. Tu n’as jamais su laisser tomber.
Serge referma la porte derrière lui, le regard brûlant.
— Pourquoi ma fille ? Pourquoi cette mise en scène ? Qu’est-ce que tu voulais vraiment, Vasseur ?
L’ancien flic sourit sans joie.
— Ta fille n’était qu’un message. Pour te faire sortir de ta tanière, te rappeler qui tu étais avant de baisser les bras. On voulait te pousser à ouvrir les yeux, Serge. Le « Gitan » n’a jamais eu le cran d’aller jusqu’au bout. Mais moi… moi je savais que tu irais jusqu’au bout.
Il tira sur sa cigarette, la fumée traçant des volutes dans l’air moite.
— Il y a un trafic, Fileas. Un réseau qui grossit depuis des années, sur les ruines de ce qu’on a laissé derrière nous. Le « Gitan » n’était qu’un pion, comme d’autres. On s’est tous compromis, à force de laisser faire. Je croyais que tu pourrais tout déterrer. Mais même toi, tu n’as pas voulu voir.
Serge sentit la colère l'envahir.
— Tu m’as pris ma fille pour ça ? Pour me donner une leçon ?
— Non, Serge. Pour que tu comprennes à quel point tout est pourri. Pour que tu te souviennes. Tu n’as jamais été du genre à détourner les yeux, mais tu as baissé les bras. Et regarde où on en est.
Un silence glacé s’installa. Serge, les poings serrés, sentit la vérité le heurter de plein fouet. Il revoyait les dossiers classés, les disparus oubliés, la crasse accumulée au fil des années. Tout cela, il l’avait voulu ignorer, pour protéger Sophia, pour se protéger lui-même de l’échec.
— Tu pourrais tout dénoncer, Vasseur. Pourquoi ne pas parler ?
— Parce que ça ne sert à rien, Fileas. Parce que ceux qui dirigent ce réseau ne tomberont jamais. Parce que la prochaine Sophia ne sera pas sauvée par un père furieux. Mais toi, tu pourrais peut-être changer quelque chose… ou au moins, dire la vérité. Raconte ce que tu sais, ce que tu as vu.
Serge le fixa longuement. Ce matin-là, il comprit que la retrouvaille avec sa fille n’effacerait pas tout. Qu’il restait, dans l’ombre, une vérité amère, une blessure ouverte.
Il laissa Vasseur à sa solitude, redescendit l’escalier. Jacques l’attendait, inquiet.
— Alors ?
Serge haussa les épaules, l’air grave.
— On a gagné une bataille, pas la guerre. Mais je ne me tairai plus. Pas après tout ça.
Il rentra à l’hôpital, retrouva Sophia, l’embrassa sur le front. Il lui promit que, désormais, il ne détournerait plus jamais les yeux.
Le soleil filtrait à travers la fenêtre, lavant la chambre d’une lumière douce. Sophia ouvrit les yeux, un sourire fragile sur les lèvres.
— Tu es là, papa.
Serge serra sa main, fort.
— Oui, ma chérie. Je suis là. Et je resterai là. Pour toi. Pour la vérité.
Il savait que la route serait longue, que la justice serait lente, mais pour la première fois depuis longtemps, il sentit naître en lui une forme d’espoir. Retrouver sa fille n’était que le début. La vérité, même amère, serait son combat. Pour elle. Pour tous les autres.